Le blog des entrepreneurs La thèse d’investissement doit embrasser celle des investisseurs

“Le but pour la startup est de développer une thèse qui soit compatible avec celles des investisseurs”

Philippe Humeau, le CEO de CrowdSec, répond à nos questions sur la thèse d’investissement pour les startups. La thèse d’investissement de CrowdSec a été capitale pour sa dernière levée de fonds de plus de 4 millions d’euros.

Philippe Humeau, le CEO de CrowdSec, répond à nos questions sur la thèse d’investissement pour les startups. La thèse d’investissement de CrowdSec a été capitale pour sa dernière levée de fonds de plus de 4 millions d’euros.

 

Ces deux années, pour difficiles qu’elles aient pu être, ont finalement contribué au succès que le projet rencontre aujourd’hui.

Pouvez-vous rapidement nous présenter CrowdSec ainsi que sa dernière levée de fonds ?

CrowdSec est une entreprise Française, éditrice d’un logiciel de cybersécurité collaboratif. Une forme de Waze des firewalls, où chaque utilisateur se défend contre les attaques mais partage également avec les autres les adresses IP de ces agresseurs.

Nous avons levé deux tours différents, un qui s’est clos en septembre 2020 et un autre en avril 2021.

Le premier était un tour “Friends & family”, aussi parfois appelé Smart ou Love money . J’ai tendance à penser que “Smart Money” est la meilleure dénomination car on utilise son intelligence pour identifier très tôt une très belle opportunité de croissance, et cette analyse permet de pondérer les risques, à un stade de développement où ils sont encore élevés. En général les investisseurs en Smart visent un retour de x20 à x30 mais savent que seul 10% des sociétés fourniront ce rendement, 20% pour les meilleurs gestionnaires. 10 à 15 autres pourcents feront un parcours honorable et un X3 ou 4, avec plus de temps et les autres végéteront ou couleront. Nous avons levé 680 K€ auprès de ces particuliers.

Le second, appelé Seed, (pour en savoir plus que l’investissement early stage, c’est ici )  est un tour de professionnels. Il fait appel à des investisseurs (VC) qui sont expérimentés et capable d’évaluer avec précision le rapport risque/gain. Ils apportent aussi, en général, du soutien logistique et du carnet de contact. Ces VC sont le maillon essentiel du décollage, ils investissent beaucoup, avec un objectif de fournir une très belle performance à leurs LP (Limited Partner, leurs investisseurs). Ils visent plus un ratio d’un tiers de succès forts et rapides, un tiers de succès plus modérés et lents et un tiers de perte. Nous avons levée 4M€ auprès de ces professionnels.

 

Pouvez-vous rappeler au lecteur ce qu’est une thèse d’investissement ?

Une thèse d’investissement c’est une thématique que le fonds d’investissement (souvent appelé VC) va proposer à ses LP (ses propres investisseurs). Selon le profil des gérants, l’état du marché et du profil de leurs LP, les fonds vont développer une stratégie très différente. Elle se découpe en général en 3 dimensions, le stade de maturité, le marché visé et le modèle de monétisation.

Le stade de maturité est essentiel car il conditionne en bonne partie le montant. En résumé, plus l’entreprise est jeune et petite, plus y investir est risqué mais plus le multiplicateur sera important en cas de succès. C’est le Seed. A l’inverse, investir dans une société qui est déjà rentable et en croissance coute plus cher mais expose à moins de risque. Selon le profil de risque que le fond vend à ses LPs, il sera plus ou moins habilité à prendre certaines décisions.

Le marché est lui aussi clef. En ce moment, la cybersécurité, le silverage et la transition écologique ont la cote. Hier c’était la fintech et la robotique et demain ça sera le quantique ou autre chose. En résumé, il faut être dans l’air du temps mais certains fonds sont aussi très spécialisés, par exemple dans la cyber, ou un peu moins, ici ça sera l’IT en général ou au contraire ils sont très diversifiés. Chaque fond propose une brochure à ses LPs avec les règles qu’il s’impose.

Enfin le modèle de monétisation est très souvent clivant aussi quand il s’agit de choisir des investissements. B2B ou B2C ? La stratégie derrière et donc les profils qui la mette en oeuvre, les moyens à y consacrer et le temps avant maturité vont changer massivement. SaaS ? Low Touch (complètement commercialisé en ligne) ou avec des commerciaux ? Réseaux de distribution, affiliations, franchises, etc. Tout est étudier et le fond accrochera ou pas avec les choix des dirigeants.

Le but pour la startup est de développer une thèse qui soit compatible avec celles des investisseurs et de viser ceux qui sont réceptif à son profil. Nous avons consulté 46 fonds pour notre levée en Seed. (dans notre cas : Cyber, B2B, Open source + SaaS Low touch)

 

Comment avez-vous préparé votre thèse d’investissement avant de rencontrer les différents investisseurs ?

On a qu’une chance en général. On met une dynamique en plus sur plusieurs semaines, on organise une bataille sur un à deux mois où l’on rencontre tout son écosystème. Il faut être 100% prêt, tout doit être millimétré, polishé, chaque slide doit avoir sa raison d’être, à 14 minutes, il faut un cliff hanger ou une démo pour relancer l’attention, à 30 on passe sur les sujets qui déchainent les passions pour de nouveau remonter le niveau d’attention. On provoque mais en restant modeste, on pique mais toujours avec des faits à l’appui. On joue, on danse et tout cela est plus millimétré qu’un tango.

Expliquez votre concept, polissez le, testez vos slides, refaites les 10x, testez les avec votre équipe, faite les relire par des non professionnels (qui doivent les comprendre), éliminez tout le superflu, allez au fond, chaque ligne doit puncher un message, chaque icone compte. Faite les habiller par des pros si vous ne savez pas faire, l’appréciation visuelle est trop souvent sous-estimée. Ce qui est évalué, c’est d’abord l’équipe et son ambition, puis le produit/service et son marché et enfin la stratégie de développement. Tout compte, packagez vos présentations, aidez vos interlocuteurs à comprendre ce que vous avez vu d’unique tout en leur montrant que vous êtes rapide et efficace car il y a de nombreux rendez vous en route.

Un investisseur prend un risque, il achète un plan de vol et partage une conviction, il est donc clef que ces points soient 100% clairs dans le business plan.

 

Est-ce que suite à votre rencontre avec les investisseurs vous avez modifié votre thèse d’investissement ?

Oui, à la marge. Pourquoi à la marge car on était déjà sur un concept très affiné et bien rodé. Mais le VC (ici Breega) nous a apporté une alternative sur notre commercialisation auprès des grands comptes avec l’intégration d’un profil de Channel sales et d’un Account manager, que je n’avais pas prévu initialement car je ne voulais pas gérer de commerciaux. Mon modèle était le Low touch pur, y compris pour des montants de plusieurs milliers d’euros par mois. Mais leurs arguments étaient censés, ne contrariaient pas fondamentalement mon plan de management et ne m’obligeaient pas à faire un écart majeur donc nous avons trouvé un terrain d’entente facilement.

 

Quelle fut l’importance de votre thèse d’investissement pour la levée de fonds ?

Capital. Les choix structurants fondamentaux, le marché, le mode de commercialisation, le profil éditeur pur (pas de service, que du produit), la composition de la team, les choix managériaux et notamment sur l’intéressement, le coté full-remote (dès fin 2019), etc. tout a joué. C’est une recette de pâtisserie et chaque ingrédient, chaque températeur, chaque durée est millimétrée. Même si aucun plan de bataille n’a jamais survécu au premier contact avec l’ennemi, il faut en avoir un le plus précis possible pour savoir quand l’on s’en éloigne ou rapproche, quand on a eu tort, pourquoi et comment corriger. Avec les mesures en permanence (les KPI) ce sont les deux outils majeurs qui contribue à la crédibilité d’une entreprise. Sans donnée, vous n’êtes qu’une personne de plus avec une opinion comme l’évoque une célèbre citation.

 

Est-ce que suite à votre levée de fonds et jusqu’à aujourd’hui, vous avez réussi à suivre votre thèse d’investissement, les objectifs sont-ils atteints ?

Oui globalement on est dans les clous. La variance par rapport au plan initial est minime. Là où elle est la plus importante c’est sur les recrutements, où ça se passe toujours plus lentement que prévu, même lorsque l’on prévoit que ce sera lent. On est en sous dépense de l’ordre de 10%, ce qui n’est pas irrattrapable mais pas optimal non plus. Rappelez vous que le fond ne vous confie pas des millions pour que vous lui serviez du 3%. Donc quand vous sous dépensez, ce que n’est pas plus optimal que quand vous surdépensez.

Pour le moment, notre KPI majeure est l’adoption du produit open source et nous sommes sur objectifs à ce stade. Tant que ce sera le cas, et que les autres KPI plus mineures ne passent pas dans l’orange ou le rouge, tout se passera bien.

 

Dans le cadre d’une éventuelle nouvelle levée de fonds, procéderiez-vous différemment pour déterminer votre thèse d’investissement ?

Oui car chaque stade de maturité s’accompagne d’enjeux différents. En Smart, on est un projet intéressant avec une bonne équipe. En Seed on a posé les bases d’un business qui va se monétiser et grandir, on a une ébauche du produit ou du service et un business model à valider.

En série A (la suivante), on doit prouver que la croissance montre son nez, que la chose peut augmenter de manière exponentielle, que les présupposés du plan sont bien les bons. Le message est que chaque euro investit aura un effet vérifiable et tangible sur la croissance de la valeur. Si on met 1, on obtient 1,2 en revenus et 1,5 en valorisation par exemple.

On présente le passage de 10 à 50 ou de 50 à 500, avec un autre management, d’autres menaces, d’autres opportunités, bref, quasi tout est à refaire, mais on a des faits pour appuyer un discours, en espérant que ceux-ci soient aussi flamboyants que ce qui a été vendu lors de la précédente levée.

 

Quelles sont les étapes à suivre pour une startup pour bien préparer sa thèse d’investissement ?

Parlez du projet autour de vous, à des experts et non experts du milieu, pour vous aider à en cerner les contours, à affiner l’idée. Prenez toutes les remarques, faites des recherches sur votre milieu, sa croissance, ses champions, ses échecs. Trouvez votre modèle de vente, son coeur de cible, son panier moyen mensuel. Cherchez à composer une équipe équilibrée et crédible. Un expert dans la technique du milieu, un gestionnaire, un commercial / marketing (en très résumé). Les teams où il manque l’une ou l’autre des composantes sont moins attirantes et moins crédibles pour un investisseur. De même avoir un tech ultra expérimenté avec un business très junior ou l’inverse n’est pas non plus recommandable.

Mettez en place les slides incontournables, votre équipe, le problème, le milieu, la cartographie des solutions actuels, la vôtre, ses différenciants, vos objectifs avec cette société et cette levée de fonds, une démo, etc. et ajouter le story telling qui va avec, les transitions entre slides doivent être fluides.

 

Auriez-vous d’autres conseils à donner à des startups qui souhaiteraient lever des fonds ?

Allez y, le marché est en plein ébullition et des pans entiers de l’économie sont à repenser. Préparez vous bien, faites vous conseiller par des pros, lisez les articles de ceux qui sont passés par là (ou regardez les vidéos), écoutez ce que les fonds demandent (en général ils sont clairs sur leurs attentes). Multiplier les contacts avec beaucoup de fonds, en peu de temps. Ayez une valorisation raisonnable en fonction de votre maturité, elle ne sera probablement pas négociée, ce qui veut dire que si vous demandez trop, vous serez hors jeu aussi.

 

Un petit mot pour la fin, avez-vous une anecdote à nous raconter ?

J’ai dû attendre 2 années avant de monter ce projet, pour d’obscures raisons de non concurrence pendant une durée de 5 ans. La clause était très large et léonine mais il en était ainsi. Pendant ces deux années, j’ai rangé mon frein, me disant que quelqu’un allait trouver le concept, le lancer avant nous. Je ne pouvais pas avancer et cela me touchait beaucoup. Et puis quand ce fut enfin possible, à force d’avoir passé le concept en revu sans cesse pendant des mois, tout était propre, simple, affiné et prêt à se lancer.

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